L’énergie : un enjeux d’avenir – Première partie : qu’est-ce que l’énergie ?

L’énergie est au cœur des préoccupations de nos sociétés modernes. D’une part, nous en consommons de plus en plus et cette tendance n’est pas prête de s’inverser, bien au contraire. Avec une demande qui ne cesse de croître, la production mondiale pourrait devenir insuffisante à satisfaire tous les besoins dans les décennies à venir. L’énergie pourrait donc devenir une ressource rare et engendrer des tensions internationales majeures dans un avenir relativement proche.

D’autre part, les moyens de production d’énergie actuels qui s’appuient essentiellement sur les combustibles fossiles (pétrole et gaz) génèrent de grandes quantités de gaz à effet de serre qui sont en grande partie responsables du réchauffement climatique. De nouvelles voies doivent être explorées afin de limiter l’impact des activités humaines sur le climat de la planète.

Pour bien comprendre les enjeux de l’énergie de demain, il convient de comprendre ce qu’est l’énergie et comment on la produit. Cette série d’articles intitulées “L’énergie : un enjeux d’avenir” a pour objectif de répondre à cette double interrogation.

Qu’est-ce que l’énergie ?

On entend beaucoup parler d’énergie dans les médias ; tout le monde semble avoir un avis sur la manière de la produire et de la consommer et pourtant, comment la définir ? On l’affuble de qualificatifs comme électrique, hydro-électrique, nucléaire, mécanique, thermique, calorifique, éolienne, hydrolienne, etc. Ces qualificatifs ont-ils vraiment un sens ? Finalement, quelle est la véritable nature de cette grandeur physique ?

Il faut bien le reconnaître, il n’est pas facile de donner une définition de ce qu’est l’énergie. Elle appartient à cette catégorie de grandeurs physiques, comme la température ou la gravitation, qu’il est plus facile d’appréhender par les phénomènes qu’elles engendrent que par leur nature propre.

Au lieu d’essayer de trouver une définition de l’énergie, regardons plutôt ce qu’il se passe quand il n’y en a plus. Qu’arrive-t-il lorsque l’on coupe une source d’énergie, par exemple, lorsque le réservoir de votre voiture est vide ? La réponse est immédiate : elle n’avance plus ! L’énergie a donc quelque chose à voir avec le mouvement. Sans énergie, pas de mouvement. Cela ne nous dit toujours pas ce qu’est l’énergie mais nous donne une indication de taille. Si l’on remplace le moteur à explosion de notre véhicule par un moteur électrique, les mêmes causes produisent les mêmes effets : quand la batterie est vide, la voiture n’avance plus. Il existe donc bien un lien étroit entre l’énergie et le mouvement. On pourrait dire, de façon imagée, que l’énergie est en quelque sorte une réserve de mouvement. Quand cette réserve est vide, le mouvement en est affecté. Mais c’est un peu plus subtil que ça. Regardons de plus près ce qu’il en est.

Imaginons que nous nous trouvions sur une patinoire parfaitement lisse. Devant nous un bloc de béton que nous devons déplacer. Pour y parvenir, nous devons fournir un effort initial pour mettre en mouvement le bloc de béton puis, ensuite il glisse tout seul à vitesse constante sur la surface gelée. C’est ce que nous dit en substance le principe d’inertie : tout corps demeure dans un état de repos ou de mouvement uniforme à moins que des forces externes imprimées sur lui modifient cet état. Nous allons voir que l’inertie est étroitement liée à l’énergie.

Nous avons tous fait l’expérience de vouloir arrêter un objet animé d’un mouvement rapide. Prenons par exemple le cas d’un ballon de football. Sans passer pour un grand expérimentateur, il est facile d’observer que plus la vitesse du ballon est grande, plus il est difficile de stopper son mouvement. Cette difficulté croît également avec la masse de l’objet. Ainsi, l’immobilisation d’une balle de tennis se déplaçant à 10 km/h est plus aisée que celle d’un poids lourd roulant à la même vitesse. D’une façon générale, on constate que le mouvement résiste à être modifié. Une fois lancé, un mobile a tendance à conserver son mouvement. Cette propriété s’appelle l’inertie. Les expériences précédentes nous enseignent que l’inertie d’un corps augmente avec sa vitesse et avec sa masse, ou, autrement dit, sa résistance à la modification de son mouvement (arrêt du mouvement, déviation de sa trajectoire, modification de sa vitesse) croît avec sa vitesse et sa masse (ce qui s’écrit, mathématiquement, mv). Evidemment, plus l’inertie d’un corps est élevée, plus l’apport en énergie pour accroître sa vitesse doit être grand. Pour reprendre l’exemple du bloc de béton, une fois qu’il est lancé, si nous souhaitons augmenter sa vitesse, il nous faut dépenser un effort qui est proportionnel à la masse du bloc de béton : plus celui-ci est massif, plus l’effort est grand. De la même façon, pour un même accroissement de sa vitesse, l’effort à produire est d’autant plus grand que la vitesse à laquelle il se déplace est élevée.

Cette expérience nous montre que pour accroître un tout petit peu la vitesse d’un corps en mouvement l’apport d’énergie est proportionnel à sa masse et sa vitesse, c’est-à-dire à son inertie. Après tout, ce résultat est logique : pour augmenter la vitesse d’un corps en mouvement il faut vaincre sa résistance au changement de son mouvement, qui est précisément égale à son inertie. Une toute petite variation de la vitesse nécessite donc une quantité d’énergie proportionnelle à l’inertie (que l’on appelle aussi quantité de mouvement  en physique). L’énergie liée au mouvement (que l’on appelle communément énergie cinétique) peut être assimilée, en quelque sorte, à une « réserve » d’inertie. On montre que la valeur de l’énergie cinétique vaut précisément 1/2 mv2 [1].

Maintenant, procédons à une autre expérience très simple : lâchons une pierre du haut d’une fenêtre. Au départ elle est immobile puis prend de la vitesse en accélérant (précisément, chaque seconde, sa vitesse s’accroît de 9,81m/s). Son énergie cinétique, nulle au départ ne l’est plus lorsqu’elle atteint le sol. Elle a donc acquis, tout au long de sa chute, de l’énergie. Mais d’où vient cette énergie ? De la gravitation terrestre. C’est le champ gravitationnel engendré par la Terre qui communique de l’énergie à la pierre. L’énergie du champ gravitationnel est appelée énergie potentielle. Cette énergie n’est pas vraiment dans la pierre mais bien dans le champ gravitationnel terrestre.

Enfin, réalisons une troisième expérience, tout aussi simple que les précédentes : lançons une pierre en l’air à la verticale. Qu’observons-nous ? La pierre ralentit, s’immobilise un très bref instant et retombe en accélérant. Comment interpréter ce comportement en termes d’énergie ? Pour monter, la pierre doit lutter contre la gravité terrestre. Elle perd ainsi de l’énergie cinétique jusqu’à s’arrêter. Puis, la même gravité cède de l’énergie potentielle à la pierre qui se transforme en mouvement, donc en énergie cinétique. On peut donner une autre interprétation de cette même expérience : lors de la remontée du champ gravitationnel terrestre, l’énergie cinétique de la pierre (le mouvement) se transforme en potentiel de mouvement (énergie potentielle). Lors de la chute, le phénomène inverse est à l’œuvre : le potentiel de mouvement (l’énergie potentielle) se transforme en mouvement (énergie cinétique).

Cette série d’expériences nous a permis de mieux cerner les rapports étroits qu’entretiennent le mouvement et l’énergie. L’énergie cinétique apparaît comme un réservoir d’inertie dans lequel le mouvement peut puiser quand le corps est soumis à des forces extérieures qui s’opposent à lui (cf. la pierre que l’on lance en l’air). Elle nous a également appris que l’énergie peut se transformer d’énergie potentielle en énergie cinétique, et vice-versa, tout au long du mouvement de manière à ce que la quantité totale d’énergie soit conservée. Cette règle porte le nom de principe de conservation de l’énergie.

Afin d’illustrer de manière imagée la transformation de l’énergie potentielle en énergie cinétique, supposons que nous remplissions un tube en U d’un liquide. Par convention nous dirons que tout le liquide situé dans la partie gauche du tube figure l’énergie potentielle et le liquide dans la partie droite, l’énergie cinétique. En appliquant une pression sur l’ouverture gauche du tube, le liquide va se déplacer comme le montre la figure ci-dessous. La quantité de liquide (c’est-à-dire l’énergie totale) reste constante mais le niveau du tube de droite est monté, tandis que celui du tube de gauche a baissé d’une même quantité.

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Illustration du principe de conservation de l’énergie.

D’autres formes d’énergie ?

Nous n’avons vu pour l’instant que deux formes d’énergie – les énergie potentielle et cinétique – toutes deux liées au mouvement. Existe-t-il d’autres formes d’énergie ?

On parle souvent d’énergie thermique ou calorifique, d’énergie électrique, etc. Qu’en est-il exactement ?

L’énergie thermique

L’énergie thermique est associée à la notion de chaleur. Pendant longtemps on a cru que la chaleur était transportée par une forme de fluide qui traversait la matière, fluide que l’on appelait le calorique. Mais les travaux de Joseph Fourier (1768-1830) et d’autres physiciens montrèrent que ce fluide n’existait pas. La chaleur est simplement la propagation de proche en proche de l’élévation de la température (ce que Fourier était parvenu à décrire dans sa célèbre équation de la propagation de la chaleur). Mais en disant cela, nous ne faisons que déplacer le problème : qu’est-ce que la température ?

Loi de Fourier

Illustration du principe de conservation de l’énergie.

Illustration de la loi de Fourier de la propagation de la chaleur.

La température mesure dans les faits l’agitation des atomes et des molécules des matériaux. Plus la température est élevée, plus cette agitation est grande. Plus rigoureusement, la température d’un corps est la mesure de l’énergie moyenne de ses atomes et molécules. L’énergie thermique se ramène donc au mouvement, à l’énergie cinétique des constituants des matériaux : les atomes et les molécules. Il n’existe donc pas, à proprement parler, d’énergie thermique. Celle-ci n’est qu’une manifestation à notre échelle de l’agitation erratique des atomes.

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En haut : illustration de l’agitation thermique d’une  molécule.
En bas : simulation de l’agitation des molécules dans un gaz.

L’énergie électrique

L’énergie dite électrique est engendrée par des courants électriques. Pour essayer de comprendre ce qui se cache derrière cette forme d’énergie, regardons comment celle-ci se manifeste.

Dans la vie de tous les jours, l’énergie électrique se révèle essentiellement sous la forme de lumière (l’éclairage électrique) et de chaleur (chauffage électrique par ex.), donc l’émission de lumière ou de chaleur. Il existe bien sûr d’autres usages de l’électricité comme les déplacements avec les moteurs électriques, la production de froid dans les réfrigérateurs ou les congélateurs, etc.

Revenons à la notion de courant électrique qui est au cœur de l’énergie électrique. Comme le nom l’évoque assez bien, un courant électrique est un flux de charges électriques qui se déplacent dans un matériau conducteur d’électricité. La matière est constituée d’atomes qui eux-mêmes sont un regroupement de trois types de particules : des protons et des neutrons qui forment ce que l’on appelle le noyau atomique, et des électrons qui tournent autour du noyau.

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Vue schématique d’un atome et de ses composants : protons, neutrons et électrons.

Les électrons ont une charge négative. Ils sont retenus dans l’atome par l’attraction électrostatique qu’exercent sur eux les protons du noyau qui eux sont positifs. Les atomes de certains éléments comptent un grand nombre d’électrons (26, dans le cas du fer). Dans, ce cas, les électrons les plus éloignés du noyau parviennent à se libérer de l’attraction du noyau et peuvent ainsi circuler librement dans le matériau. La place vacante qu’un tel électron vagabond laisse derrière lui est immédiatement occupée par un autre électron vagabond venu d’un autre atome. Le nombre d’électrons dans le matériau ne varie pas et en moyenne, les atomes conservent le même nombre d’électron mais ces électrons libres vont pouvoir engendrer un courant si on applique au matériau une sorte de force qui va les mettre en mouvement. Cette “force” c’est ce que l’on appelle la tension électrique également connue sous le nom plus technique de différence de potentiel.

La tension électrique joue un rôle similaire à celui du champ gravitationnel dans les expériences que nous avons citées plus haut, réalisées avec une pierre. On peut comparer les électrons libres dans un circuit électrique (voir la figure ci-dessous) à l’eau d’une chute d’eau. Plus la hauteur de la chute est grande, plus l’énergie cinétique de l’eau en bas de la chute est élevée.  De même, plus la tension électrique appliquée au circuit électrique est élevée, plus la vitesse des électrons est grande. La tension électrique est donc comparable à la hauteur d’une chute, donc à l’énergie potentielle du champ gravitationnel terrestre. Mais bien entendu, la tension électrique n’a rien à voir avec un champ gravitationnel. Les phénomènes électriques sont d’une nature totalement différente.

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Analogie entre l’énergie potentielle gravitationnelle et la tension électrique. Plus la hauteur de la chute est grande, plus l’énergie potentielle de l’eau est élevée et plus son énergie cinétique au pied de la chute est grande. De même, plus la tension électrique est élevée (9V au lieu de 1,5V) et plus les électrons circulent vite dans le circuit et plus l’énergie qu’ils dissipent sous forme de lumière est grande.

Les électrons libres, en se déplaçant, heurte les atomes qu’ils rencontrent sur leur chemin. Ils leur communiquent ainsi leur énergie cinétique. Cela a pour effet d’augmenter l’agitation des atomes dans le circuit électrique et donc… sa température ! Les systèmes de chauffage électrique fonctionnent selon ce principe.

En ce qui concerne l’éclairage électrique, le phénomène en jeu est grosso modo le même, sauf que la vitesse de électrons dans un filament est très élevée, et il en va de même de leur énergie cinétique. Les chocs entre les électrons libres et les atomes sont du coup plus violents. Ceci a pour effet de modifier l’état quantique des atomes et de les faire passer dans un état excité. Dix nano-secondes plus tard, ceux-ci reviennent à leur état non excité (on dit en physique quantique état fondamental) en émettant de la lumière.

On voit que, dans tous les cas, l’énergie électrique trouve sa source dans le mouvement des électrons. Ce sont ceux-ci qui, en se déplaçant, heurtent les atomes et leur transmettent une partie de leur énergie cinétique. Finalement, l’énergie électrique se ramène elle aussi à une affaire de mouvement.

L’énergie lumineuse ou radiative

Il existe une troisième forme d’énergie qui joue un rôle très important dans notre vie quotidienne et en physique en général. Il s’agit de l’énergie lumineuse ou, plus généralement, de l’énergie radiative ou encore électromagnétique.

La lumière transporte de l’énergie. Pour s’en convaincre, il suffit de rester au Soleil pendant un certain temps pour se rendre compte que la température de la surface de notre corps a augmenté. Qui dit température, dit énergie thermique donc agitation des atomes à la surface de notre peau. La lumière provoque donc l’agitation des atomes. Par quel mécanisme ?

On se serait tenté d’imaginer, comme l’avait fait Isaac Newton (1643-1727) au XVIIe siècle, que la lumière est composée de petits grains, comme de microscopiques petites billes, qui viennent frapper les atomes de notre peau. Comme dans le cas des électrons libres dans un circuit électrique, ces chocs augmenteraient l’agitation des atomes de la peau. Mais cette explication ne tient pas la route car James Clerk Maxwell (1831-1879) a établi en 1864 que la lumière était une onde électromagnétique. Les mécanismes qui permettent de rendre compte de l’élévation de la température de notre peau lorsqu’elle est soumise au rayonnement lumineux du Soleil, ou d’une autre source intense de lumière, sont dans les faits assez complexes. Ils mettent en jeu la physique quantique. Ils feront pour cette raison l’objet d’un article ultérieur. Ce qu’il faut retenir ici, c’est que la lumière est une onde et que celle-ci transporte de l’énergie qui se manifeste sous forme thermique lorsqu’elle est absorbée par des objets.

La lumière, et les ondes électromagnétiques d’une manière générale, se déplace à la vitesse prodigieuse de 300 000 km/s. Pour fixer les idées, 300 000 km c’est approximativement la distance qui nous sépare de la Lune. La lumière parcourt donc cette distance en une seconde ! Cette vitesse la distingue de tous les autres objets physiques non seulement par le fait qu’elle est très grande mais surtout parce qu’elle est constante : toutes les ondes électromagnétiques se déplacent toujours à la même vitesse de 300 000 km/s. Cette vitesse est une constante de la Nature que l’on note, symbolique par la lettre c

Comme leur nom le laisse sous-entendre, les ondes électromagnétiques sont des oscillations des champs électrique et magnétique (se reporter aux articles L’histoire d’une grande idée : les champs en physique Acte I : la fin d’un tabou et L’histoire d’une grande idée : les champs en physique – Acte II : de l’action à distance à l’idée de champ). Pour faire osciller un objet il faut lui apporter de l’énergie. Bien que les champs électriques et magnétiques ne soient pas des objets au sens commun du terme, il faut également de l’énergie pour les faire osciller. En retour, les oscillations de ces champs induisent des oscillations des charges électriques, c’est-à-dire qu’elles provoquent le mouvement (le mouvement d’oscillation est un mouvement comme un autre !) des charges électriques quand elles les rencontrent. Or le mouvement c’est de l’énergie cinétique ! On voit donc bien que la lumière et toutes ondes électromagnétiques transportent avec elles de l’énergie. Nous verrons dans un article ultérieur comment on parvient à récupérer cette énergie dans les cellules photovoltaïques.

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Illustration schématique de l’oscillation d’une charge électrique au passage d’une onde électromagnétique.


[1] Dire qu’une variation infinitésimale dv de la vitesse nécessite une quantité d’énergie proportionnelle à la quantité de mouvement s’écrie mathématiquement : dE = mv dv, d’où l’on tire, en intégrant sur v,
E = 1/2 mv2.

Jacques Léon

28/04/2019

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