Les trous noirs : des objets de la relativité générale

Si l’existence de trous noirs a été génialement pressentie par Lagrange au XIXe siècle, il n’en demeure pas moins qu’elle ne peut être véritablement expliquée et comprise uniquement dans le cadre de la relativité générale. En ce sens, l’on peut dire que les trous noirs sont des objets spécifiquement relativistes.

L’intuition de Lagrange reposait sur l’application à la lumière des propriétés des corps pesants dans un champ gravitationnel. Or, selon la physique classique, la lumière étant une onde électromagnétique est donc dépourvue de masse. On le voit, les fondations de l’hypothèse de Lagrange, issues de la mécanique classique, sont très fragiles et ne résistent pas aux lois de la physique classique. Seule la relativité générale permet d’expliquer la capture de la lumière par un champ gravitationnel très intense, mais pour bien saisir ce phénomène il convient de revenir sur les fondements de la relativité générale.

Gravitation et courbure de l’espace-temps

Albert Einstein a été l’artisan d’un principe fondamental de la physique du XXe siècle : le principe de relativité. Le principe de relativité exprime l’idée qu’il n’existe pas de référentiel absolu ou, en d’autres termes, que les lois physiques doivent être indépendantes du mouvement de l’observateur : elles doivent être identiques dans tous les référentiels quels qu’ils soient. En appliquant le principe de relativité aux repères galiléens, Einstein bâtit la théorie de la relativité restreinte. En cherchant d’y inclure le cas du mouvement accéléré, Einstein découvrit un lien étroit entre le mouvement d’un référentiel uniformément accéléré et un champ gravitationnel.

En effet, pour un observateur enfermé dans une boîte – une cage d’ascenseur par exemple – il est impossible de savoir s’il se trouve plongé dans un champ de gravitation ou soumis à une force d’inertie résultant du mouvement uniformément accéléré de la boîte. Einstein en déduisit le principe d’équivalence relativiste, selon lequel un champ de gravitation peut être assimilé, localement, à un référentiel accéléré et vice versa. Le principe d’équivalence relativiste peut être compris en cela comme une nouvelle interprétation de l’équivalence entre les masses inerte et pesante des corps (principe d’équivalence galiléen). Inversement, il est toujours possible d’annuler l’effet d’un champ gravitationnel sur notre observateur en accélérant adéquatement la boîte qui le renferme.

Quand une cage d’ascenseur se décroche, ses occupants se trouvent en état apparent d’apesanteur ; tout se passe comme si la cage d’ascenseur se trouvait en état de mouvement galiléen, ou inertiel ! Une chute libre dans un champ de gravitation ne peut être distinguée, d’un point de vue stricte des lois physiques, d’un mouvement uniforme. On peut alors imaginer que le mouvement est toujours uniforme mais que la configuration de l’espace-temps change ce qui engendre l’accélération du champ gravitationnel. Ainsi, poursuivant ce raisonnement, Einstein en conclut que la gravitation avait pour effet de modifier l’espace-temps : en se rapprochant du sol, les durées et les distances s’étireraient de façon à ce que la vitesse effective par rapport à la « trame » de l’espace-temps reste constante (ce que l’on appelle la dérivée covariante).

Pour illustrer de façon simpliste mais très imagée l’idée d’Einstein, considérons une roue dentée roulant à vitesse constante (disons une dent à la seconde) sur une crémaillère. Imaginons que nous ayons le pouvoir de modifier simultanément le pas de la crémaillère et celui de la roue quand et où nous le désirons. Faisons alors en sorte que le pas de la crémaillère augmente légèrement d’une dent à l’autre. Pour des observateurs fixes la roue est alors animée d’un mouvement uniformément accéléré car, en effet, à chaque tour celle-ci parcourt une distance toujours plus grande. En revanche, si l’on choisit la crémaillère comme référentiel et le pas de celle-ci comme étalon de mesure, le mouvement de la roue est alors uniforme (une dent par seconde). L’accélération de la roue est la conséquence de l’augmentation du pas de la crémaillère. Dans cet exemple, la crémaillère représente l’espace-temps, son pas peut être assimilé à « l’étalon » de l’espace-temps ou en langage mathématique, la métrique. L’accélération dans un champ de gravitation est donc causée par l’étirement de la métrique !

Sans entrer dans la complexité des mathématiques qui sous-tendent la théorie de la relativité générale, il va de soi que la symétrie sphérique de l’interaction gravitationnelle induit la même symétrie en termes de déformation de l’espace-temps, ce qui nous amène à poser que la gravitation courbe l’espace-temps. La courbure de l’espace-temps est proportionnelle à la densité de masse et d’énergie locale (n’oublions pas que l’énergie et la masse sont équivalentes d’après la célèbre relation E = mc2).

Généralisation du principe de Fermat : les géodésiques d’espace-temps

D’après le principe de Fermat, la lumière emprunte le chemin le plus court entre deux points. Ce principe n’a jamais été mis à défaut et reste maintenu en relativité générale mais il y acquiert alors une toute autre signification. En géométrie des espaces courbes les chemins[1] les plus courts entre deux points s’appellent des géodésiques. Traduit en termes géométriques, le principe de Fermat devient : la lumière parcourt les géodésiques de l’espace-temps. Cette prédiction de la relativité générale a été vérifiée par l’expédition dirigée par Arthur Stanley Eddington lors de l’éclipse de soleil de 1919. La position des étoiles avant et après l’éclipse dans la région du ciel environnant le soleil à ce moment a permis de mettre clairement en évidence une déviation des rayons lumineux.

En noir : trajectoire d’un rayon lumineux le long d’une géodésique d’espace-temps courbée par la présence d’une étoile très massive.

La courbure de l’espace-temps étant proportionnelle à la densité de matière-énergie, il s’ensuit que la déviation des rayons lumineux est d’autant plus forte que cette densité est élevée. Nous savons que la densité de la matière stellaire peut atteindre, sous l’effet de la pression gravitationnelle, des densités gigantesques. Pour les plus grosses étoiles (masse initiale x fois supérieure à celle du soleil) cette densité peut atteindre une valeur seuil pour laquelle les géodésiques d’espace-temps autour de l’étoile se referment sur elles-mêmes. Les rayons lumineux émis par l’astre parcourent alors indéfiniment une boucle fermée sans jamais pouvoir s’échapper d’une certaine distance de l’étoile, appelée l’horizon. Un trou noir est né !

Rayon lumineux piégé dans un trou noir. La géodésique qu’il parcourt se referme sur elle-même (au fond du trou noir).

Anatomie des trous noirs en relativité générale

A l'instar du modèle classique de Lagrange, un trou noir relativiste présente lui aussi un rayon critique - le rayon de Scharzschild - qui détermine le seuil en deçà duquel l'astre n'émet plus de lumière. La valeur du rayon de Scharzschild d'un trou noir relativiste est identique à celle obtenue avec le modèle classique, soit  <<...>>  où G est la constante gravitationnelle, M la masse de l'étoile et c la vitesse de la lumière. L'interprétation physique de ce rayon critique est toutefois très différente de celle de Lagrange. Lorsque le rayon de l'astre est inférieur à son rayon de Scharzschild, la courbure de l'espace-temps environnant est telle que les géodésiques se referment sur elles-mêmes, empêchant ainsi la lumière de se libérer du champ gravitationnel de l'astre.

En fait, les effets de la courbure de l'espace-temps à la périphérie d'un trou noir se font ressentir avant la valeur du rayon critique. Quand le rayon d'une l'étoile atteint une valeur 1,5 fois supérieure à celle de son rayon de Scharzschild, les rayons lumineux émis tangentiellement à sa surface restent prisonniers dans une géodésique fermée.

Supposons maintenant que l'on envoie en direction d'un trou noir une sonde spatiale émettant un signal périodique, un bip par seconde par exemple. Plus la sonde va se rapprocher du trou noir et plus la fréquence du signal émis par la sonde va décroître au point de s'annuler lorsque celle-ci atteint le rayon de Scharzschild. En d'autres termes, plus aucun signal ne va nous parvenir de la sonde car chaque bip va mettre un temps infini pour franchir le rayon critique. Ce phénomène, inexistant dans le modèle de Lagrange, s'explique par le fait qu'un champ de gravitation étire les durées. Des expériences réalisées avec des horloges très précises ont permis de mettre en évidence une telle différence de l'écoulement du temps entre un observateur situé sur le sol terrestre et un autre se trouvant dans un avion volant à haute altitude. Le rayon de Scharzschild d'un trou noir délimite donc une région de l'espace où l'écoulement du temps devient infini. Pour cette raison que les physiciens appelle cette limite l'horizon des événements : en deçà du rayon critique, les événements ne sont plus visibles de l'extérieur du trou noir.

Mais en réalité, notre sonde spatiale ne parviendra jamais intacte jusqu'à l'horizon des événements car elle aura été totalement pulvérisée par les forces de marée auxquelles elle aura été soumise. En effet, au voisinage d'un trou noir, le champ de gravitation varie énormément sur de courtes distances, en d'autres mots son gradient est très grand. Ceci a pour effet d'engendrer un différentiel d'attraction gravitationnelle très important entre les points les plus rapprochés du trou noir et ceux qui en sont les plus éloignés. Les forces mises en jeu sont considérables (xxxx) au point qu'aucun objet matériel ne peut y résister. En relativité générale, les forces de marée à la périphérie d'un trou noir trouve une interprétation géométrique originale : elles sont en fait la manifestation concrète de l'étirement démesuré de l'espace !

Evolution et devenir des trous noirs

Enfin, un trou noir va logiquement poursuivre sa contraction jusqu'à ce que son volume devienne nul. La densité de l'astre atteint alors une valeur infinie. Dès lors, la métrique de l'espace-temps ne peut plus être calculée : nous nous trouvons en face de ce que les mathématiciens nomment une singularité. Stephen Hawking et Roger Penrose ont démontré un théorème qui révèle que l'évolution de tout trou noir aboutit inéluctablement à une singularité. Qu'est-ce que cela signifie-t-il d'un point de vue physique ? Dans quel état se trouve la matière dans une singularité ? Peut-on encore parler de matière ? Roger Penrose, poussant encore plus loin les développements mathématiques sur ce sujet a montré que deux voies étaient en fait possibles pour un trou noir : s'effondrer dans une ultime singularité ou engendrer un nouvel univers !



[1] A noter qu’en géométrie euclidienne il ne passe entre deux points qu’un seul chemin de longueur minimale. Ceci n’est plus vraie dans le cas d’espaces courbes. Ainsi sur une sphère, il passe toujours deux chemins de longueur minimale entre deux points.