La musique du Big Bang

 

Le Big Bang, qui se serait produit il y quelque 13,7 milliards d’années, a dû faire un sacré bruit. La naissance d’un Univers tout entier ne se fait pas en catimini ! Bien évidemment, le jaillissement de la matière, tel que le conçoit la cosmologie moderne, a fait un certain tintouin mais comment, 13,7 milliards d’années plus tard, en retrouver une trace ? Vous me direz, à juste titre, qu’il ne nous reste rien des premières paroles de nos ancêtres homo sapiens alors comment seulement imaginer trouver une empreinte d’un son si lointain dans le passé que celui de la naissance de l’Univers ? Les cosmologistes ont pourtant réussi cet exploit.

Tout a commencé avec le satellite Planck de l’agence spatiale européenne (ESA). Lancé en 2009, il a collecté des informations sur le passé de l’Univers d’une valeur inestimable. La mission de Planck s’est effectuée dans la continuité des satellites COBE (1989) puis WMAP (2001) lancés par la NASA. De façon assez surprenante, les données rassemblées par Planck ont permis de reconstituer le son du Big Bang ! Regardons de quoi il s’agit.

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Le satellite Planck de l’agence spatiale européenne (source : ESA).

Quand un son laisse des traces

Pour comprendre comment les cosmologistes sont parvenus à cet exploit, regardons de plus près ce qu’est un son. Imaginons une chaîne tendue constituée de billes attachées les unes aux autres par des ressorts. Déplaçons la première bille de la chaîne sur la droite et lâchons-la : nous observons alors que le décalage que nous avons provoqué se propage de bille en bille tout le long de la chaîne.

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Le décalage de la bille rouge se propage le long de la chaîne comme le fait une onde sonore.

Le son procède de la même façon pour se propager mais évidemment ce ne sont pas des billes qui se déplacent mais des molécules d’air, que l’on peut assimiler à de minuscules petites billes microscopiques. Elles se repoussent mutuellement sous l’action de forces qui jouent le même rôle que les ressorts dans notre exemple. Prenons un tuyau cylindrique à l’extrémité duquel se trouve un piston et remplissons-le d’air. Si l’on donne un petit coup sec sur le piston, on va déplacer les molécules d’un côté du tuyau. On provoque ainsi une surpression d’air dans la région proche du piston. Tout se passe ensuite comme dans le cas de la chaîne de billes : cette surpression va se propager le long du tube sous l’action des forces qui repoussent les molécules les unes des autres, tout comme le font les ressorts avec les billes.

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Propagation d’une surpression dans un tuyau rempli d’air.

Dans les tuyaux d’orgue on produit des surpressions en y envoyant violemment de l’air. Le phénomène qui à l’origine du son est assez complexe à expliquer mais en gros, les ondes sonores rebondissent dans le tuyau et forment ce que l’on appelle des ondes stationnaires. Pour comprendre de quoi il s’agit prenons l’exemple d’une corde de guitare : les deux extrémités de la corde sont fixes et ne peuvent bouger en revanche tout le reste de la corde vibre en formant ce que l’on appelle des creux et des ventres. Ce sont des ondes stationnaires. La corde peut vibrer de plusieurs façons différentes : il peut n’y avoir qu’un seul ventre. C’est sa façon de vibrer la plus simple. On peut avoir deux ventres et un creux, trois ventres et deux creux, etc. Chaque manière de vibrer de la corde est appelé un mode de vibration. Le premier mode est dit fondamental car c’est le plus simple alors que les autres portent le nom d’harmoniques. Un son harmonieux est dans les faits la composition d’un mode fondamental et d’un sous-ensemble de ses harmoniques. Pour les musiciens, ces termes ne sont pas inconnus : ils sont les fondements mêmes de ce que l’on appelle, en musique, l’harmonie.

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Les trois premiers modes de vibration d’une corde de guitare.

On observe exactement le même phénomène avec une peau de tambour ou une plaque métallique. Nous allons nous prêter à une petite expérience : déposons du sable sur une telle plaque et faisons-la vibrer. Qu’observons-nous ?

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Exemples de modes de vibration d’une plaque métallique matérialisés avec du sable.

A l’emplacement des creux, le sable s’est accumulé et à l’emplacement des ventres, il a disparu. Le sable a ainsi dessiné sur la plaque métallique la forme des vibrations des ondes sonores – stationnaires – qui s’y sont propagées. Le son peut donc laisser des empreintes à condition que l’on puisse matérialiser par la matière – ici le sable – les creux et les ventres de ses vibrations.

C’est cette idée simple qui a guidé les cosmologistes dans leur recherche du son du Big Bang : retrouver dans la matière contenue dans l’Univers la forme de ses vibrations originelles !

L’empreinte du son du Big Bang

Mais le Big Bang a eu lieu il y a 13,7 milliards d’années. La matière a eu le temps pendant tout ce temps de s’agglomérer en étoiles et en galaxies, effaçant ainsi toutes traces des « creux » et des « ventres » qu’aurait pu laisser le grand boum originel. Pour pouvoir reconstituer la forme du son du Big Bang il faut pouvoir voir la répartition de la matière telle qu’elle existait avant que la gravitation fît son œuvre. Et c’est là que le satellite Planck intervient. La clé se trouve dans la mesure de la température de l’Univers : là où, peu après le Big Bang, la matière était plus dense, la quantité d’énergie était plus grande et donc la température plus élevée. Il « suffit » donc de mesurer la température des différentes régions de l’Univers et … mais comment mesurer la température de l’Univers ?

Dans le champ de notre expérience quotidienne il nous arrive en permanence d’expérimenter au travers de nos sens la température des objets qui nous entourent. Aussi, nous paraît-il tout à fait naturel que chaque objet possède une température, au même titre qu’il possède une couleur, une forme ou un volume. Cette remarque peut-elle s’appliquer à l’Univers : peut-on dire que l’Univers a une température ? Si oui, de quoi s’agit-il et comment la mesurer ?

Pour mesurer la température de l’Univers il est évidemment hors de question de sortir le bras d’une fusée et de « tâter » la température du vide comme nous le faisons sur Terre pour connaître la température de l’air. Cela pour la simple raison que ce que nos sens traduisent par chaud ou froid est en fait l’agitation moléculaire : plus cette agitation est grande, plus la température ressentie est élevée. Or le vide, par définition, est vide de toute matière, molécule, atome. Notre corps – de même que nos thermomètres traditionnels – ne peut donc en évaluer la température. Le vide intersidéral ne contient pas de matière mais il contient de la lumière c’est-à-dire du rayonnement électromagnétique.

Nous avons tous eu un jour l’occasion de remarquer le changement de la couleur d’un objet métallique lorsqu’il est chauffé : il passe du rouge au jaune puis au blanc bleuté. Cette expérience montre que la couleur de la lumière émise par le métal varie en fonction de sa température. Aux basses températures il rayonne une lumière rouge, la température allant croissant, elle vire à l’orange, puis au jaune et enfin au bleu. Ce qui change en fait, c’est la longueur d’onde de la lumière émise. La lumière rouge possède une longueur d’onde plus grande que la lumière bleue. En augmentant sa température, le rayonnement du métal balaye la totalité du spectre des longueurs d’onde de la lumière visible. Il se passe la même chose dans un four parfaitement clos. On a représenté sur la figure ci-dessous la longueur d’onde de la lumière à l’intérieur d’un tel four en fonction de sa température. La température y est exprimée en Kelvin (noté K) ; il s’agit de l’échelle de température absolue où 0 K, le zéro absolu, vaut – 273,15°C.

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Spectre du rayonnement dans un four parfaitement clos en fonction de la température qui y règne.

Cette courbe nous montre que la longueur d’onde pour laquelle l’intensité du rayonnement émis est maximale dépend directement de la température. Donc, en mesurant son spectre d’émission on en tire directement sa température … à condition que l’objet se comporte comme un four hermétique ! Et si l’Univers, pris dans sa totalité, était comme une sorte de gigantesque four qui aurait été porté à une très haute température il y a 13,7 milliards d’années ? Etant situé à l’intérieur il nous serait relativement aisé d’en mesurer le rayonnement. Cette hypothèse hardie fut émise pour la première fois par George Gamow dans les années 1930 mais ce fut tout à fait par hasard que deux ingénieurs des laboratoires Bell, Robert Wilson et Arno Penzias, découvrirent un rayonnement isotrope (c’est-à-dire identique dans toutes les directions) dont le spectre suivait exactement celui que l’on trouverait dans un four porté à une température de 2,725 K, soit – 270,4°C ! Ces résultats furent confirmés à maintes reprises jusqu’à récemment par les satellites COBE, WMAP et Planck chargés d’analyser ce rayonnement. Le satellite Planck a pu mesurer avec une très grande précision le spectre de ce rayonnement ; la courbe obtenue est en parfaite conformité avec le calcul théorique du rayonnement contenu dans un four hermétique. L’Univers se comporte donc exactement comme un immense four, comme une gigantesque cavité totalement close, à la température de 2,725 K (-270,425°C).

Si l’on comprime très fortement de la matière, sa température et sa densité d’énergie augmentent. A un moment donné, la température atteinte est telle que les atomes se « délitent ». Ceci se produit à une température d’environ 3 000 °C. Il ne reste alors qu’une « soupe » de particules – des électrons et des protons – qui s’attirent, se repoussent sans cesse. Une telle « soupe » s’appelle un plasma. Dans un tel plasma, les particules s’échangent en permanence du rayonnement électromagnétique c’est-à-dire de la lumière. Celle-ci est donc en quelque sorte piégée par la matière : dans quelque direction qu’elle aille, elle rencontre une particule qui l’absorbe puis va la réémettre. Dans un plasma, la matière et la lumière jouent un bien étrange ballet, indéfectiblement unies l’une à l’autre.

Après le Big Bang, l’Univers s’est refroidi. Les calculs théoriques montrent qu’environ 380 000 ans après sa naissance, l’Univers est passé sous la barre des 3 000 °C. De la « soupe » de particules qu’il contenait, sont alors nés les atomes. Le ballet entre les protons, les électrons et la lumière s’est brutalement interrompu, laissant la lumière libre de poursuivre sa route. Cet événement très important porte le nom de recombinaison ; il s’est donc produit il y a environ 13,3 milliards d’années. Il a laissé après lui une immense quantité d’atomes, d’une part, et de la lumière libre, d’autre part. Cette lumière a depuis poursuivi son chemin. C’est elle que les satellites COBE, WMAP et Planck ont observée. On l’appelle le rayonnement de fond diffus de l’Univers. Mais cette lumière s’est modifiée au fil du temps : avec l’expansion de l’Univers, la texture de l’espace-temps s’est étirée, allongeant dans son élongation la longueur d’onde des ondes lumineuses. C’est pourquoi de 3 000 °C au moment de la recombinaison, la température du rayonnement que nous observons aujourd’hui n’est plus que de 2,725 K (-270,425°C).

Avant la recombinaison, les faibles variations de la densité de matière induisirent localement des variations de température. Ces variations sont encore visibles aujourd’hui dans le rayonnement de fond : ce sont elles qui sont à l’origine des légères anisotropies observées par COBE, WMAP et Planck. Ainsi, les images qu’a ramenées le satellite Planck sont des « photographies » de l’Univers tel qu’il était juste avant la recombinaison, soit une image de l’Univers tel qu’il était il y a 13,3 milliards d’années !

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L’intensité du rayonnement de fond de l’Univers (Image produite par le satellite Planck de l’ESA).

Les zones rouges sont plus chaudes – et donc plus denses – que les zones bleues mais la différence est minime : elle ne dépasse pas un cent-millième de °C. C’est très peu mais c’est suffisant pour nous indiquer que la matière n’était pas uniformément répartie au moment de la recombinaison. Les cosmologistes se sont alors demandé si ces différences de température ne pouvaient pas être les empreintes dans la matière d’ondes sonores stationnaires qui auraient rempli tout l’Univers. On peut en effet noter comme une grossière répétition des motifs sur la figure ci-dessus. C’est un indice important qui signe la présence d’ondes stationnaires. A l’aide des mathématiques (l’analyse harmonique) et de logiciels sophistiqués ils ont analysé la répartition des régions rouges et bleues et ont pu ainsi reconstituer le mode fondamental et les différentes harmoniques qui ont composé le son du Big Bang.

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Modèles de répartition de la matière dans une sphère dans laquelle règne un régime d’ondes sonores stationnaires (harmoniques sphériques).

Ils ont obtenu le spectre de ce son, à savoir l’ensemble des modes dont il est constitué (voir la figure ci-dessous). A partir de son spectre, ils ont pu le reproduire avec des logiciels. On peut l’entendre par exemple sur les pages du Pr. John Cramer, cosmologiste de l’Université de l’état de Washington à Seattle :

http://faculty.washington.edu/jcramer/BBSound.html ; c’est le son du Big Bang, c’est-à-dire le son transporté par les ondes de compression qui ont pris naissance dans l’Univers au moment du Big Bang.

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Spectre des ondes sonores qui ont rempli l’Univers primordial.

Ces ondes sonores sont à l’origine des variations locales de densité de matière. Par la suite, ces fluctuations de densité ont favorisé par-ci par-là l’agglomération de la matière en boules de gaz plus ou moins massives. Sous la pression gravitationnelle croissante, les plus grosses d’entre elles se sont allumées des feux thermonucléaires et ont illuminé le vide de la lumière des premières étoiles. Ainsi naquirent les galaxies et leurs myriades d’étoiles. Les galaxies, les étoiles et les planètes sont, pour ainsi dire, les filles du vacarme du Big Bang !

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